Danse avec les vivants - Rentrée littéraire 2024

Vous allez revisiter votre histoire familiale.

LIRE LE PREMIER CHAPITRE

     Décembre 1958.

     « Je suis née indésirable, fruit impur de parents jumeaux, enfin, plus exactement, qui sont nés le même jour et qu’une mauvaise fortune a fait grandir sous le même toit comme frère et sœur.

     « Te parler d’abord des parents de mon père, Justine et Antoine, et de cette année-là, 1914. Lui vingt-neuf ans et elle vingt-cinq, paysans auvergnats, ils sont mariés depuis quatre ans et devenus parents d’un petit Joseph, regard bleu et boucles brunes, mon père. Le soleil brille sur la nature sauvage et l’air est chargé de senteurs si obsédantes qu’elles font oublier un lendemain possible. Pourtant, la Première Guerre Mondiale éclate en déchirant leur été d’adieux.

     « Entrer en guerre ! Je te souhaite de n’être jamais frappée par cet ahurissement. Antoine part au front. Pour Justine commence l’interminable attente, les soirées à guetter des signes dans la flamme tremblante du feu qui s’éteint, les nuits glacées à questionner les étoiles, de rares lettres pour tromper la mort qui règne sur chaque pensée. Quand l’armistice de 1918 les réunit enfin, il revient à la ferme, poilu de figure et de tignasse, elle le serre à l’étouffer tandis que Joseph les observe depuis le seuil.

     « Partout, c’est un peuple en liesse. On veut ignorer la grippe, qualifiée d’Espagnole, bien qu’elle ait franchi l’Atlantique avec les soldats depuis le centre des États-Unis. Les ravages de l’épidémie sont tels que le maire de Clermont-Ferrand est contraint d’interdire les rassemblements publics et de fermer les salles de spectacle. Mais les consignes de se tenir à distance les uns des autres pour éviter la contagion sont balayées par le besoin de s’accoler, de s’empoigner, d’enlacer ceux qui reviennent. C’est une ivresse qui abolit les précautions et tous les chagrins.

     « Survivre sur une terre ensanglantée, minute après minute, spectral entre les fantômes, se sentir animal, tenir en s’accrochant à des fragments d’humanité, en imaginant des retrouvailles. L’armistice, enfin ! Entrer en paix, redevenir un homme parmi cinq millions qu’on libère de leurs obligations militaires, revoir les siens, le regard vieilli, juste avant d’être foudroyé par un virus. La pandémie fera quatre ou cinq fois plus de victimes que la guerre.

     « Par quel coup de dés du destin, mon père se trouve-t-il confié aux soins d’Estelle, ma grand-mère maternelle ? Quel lien entre ces fermiers auvergnats et une brodeuse vosgienne ? Le pur hasard de connaissances communes ? Cet épisode reste flou car mes questions n’ont déclenché qu’une nébulosité de paroles confuses. Estelle est mère d’une petite Henriette née le même jour que Joseph. Elle s’est mariée à seize ans, treize jours avant son accouchement. Le père, un militaire engagé dans la légion étrangère, est revenu en permission exprès pour signer l’acte de mariage. Il est reparti illico en la laissant seule élever la petite.

      « Tu m’entends ? Tu dors ? Tu bouges les doigts. Tu m’entends, alors.

     « Très vite, Henriette et Joseph tissent un nœud fondamental autour de leurs deux solitudes. Une mère pour deux trop occupée à s’abîmer les yeux, le nez sur les nappes et les draps qu’elle brode du matin jusqu’à la nuit. Pas de place à défendre au sein d’une fratrie, pas de rivalité entre les deux enfants, juste des jeux. Ensemble, ils inventent des mondes possibles et forgent leur identité.

     « Ils grandissent en complicité et même en ressemblance. Visages ronds, regards azur, corpulence trapue. Dans le village vosgien, leur intimité amuse et suscite des quolibets qui humilient Henriette du haut de ses huit ans. Sont-ils amoureux ? Vont-ils se fiancer plus tard ? Mais cette fusion apparente cache un malentendu abyssal. Pour Henriette, Joseph est son frangin. Pour lui, elle est la promise que la destinée a placée sur sa route, celle qu’il épousera.

     « À l’adolescence, Joseph évoque le sujet de leurs fiançailles. Les rebuffades d’Henriette à ses déclarations malhabiles le rendent de plus en plus pressant. C’est alors que deux évènements marquent leurs jeunes vies. Estelle divorce de son époux aussi épisodique qu’alcoolisé et embarque toute la famille à Saint-Maur-des-Fossés où il y a du travail dans une blanchisserie pour elle et pour Henriette. Peu de temps après, Joseph est appelé sous les drapeaux.

     « L’armée, cette perspective le consume. Il n’a de goût ni pour les armes, ni pour l’uniforme, associés à l’absence de son père, le drame de son enfance. Mais s’y soumettre n’est pas le pire. Ce qui hante ses nuits, ce sont les mois d’éloignement avec son adorée.  Même si une loi vient de raccourcir la durée du service militaire, douze mois, c’est trop long. La blonde Henriette s’entête à le refuser alors qu’il a si besoin d’elle à chaque instant. Il sent bien qu’elle peut lui échapper, être séduite par un autre, attirée par les lumières de Paris. L’éventualité d’une vie loin de ses yeux clématite lui fait perdre le sommeil.

     « Quelles tractations Joseph engage-t-il secrètement avec ma grand-mère ? Quels arguments la persuadent ? Nul ne le saura jamais. Il y a bien des silences autour de Joseph. Toujours est-il qu’Estelle exige de sa fille qu’elle l’épouse avant son départ à l’armée. Elle la sait malléable.

     « D’ailleurs, elle les connaît par cœur, Henriette et Joseph. Ce qu’ils ont en commun ces deux-là, d’avoir subi les railleries des gamins à cause de leur lien gémellaire, Joseph le bougnat, Henriette la fiancée, c’est la peur de se retrouver dans un monde qui les observe et les juge sans cesse, une peur qui les rend prêts à tous les sacrifices. Pourtant, Henriette regimbe encore. Tu me demandes de me marier avec mon frère !

     « Estelle entre dans une rage folle, elle menace, tombe malade, s’alite et finit par ne plus s’alimenter. Henriette est trop fragile pour endurer plus longtemps la pression et trop craintive pour partir.  Elle cède, sa mère guérit. À vingt ans, elle épouse son frère.

     « Tu vois cette photo de mariage au-dessus de la coiffeuse ? Il est déjà un jeune homme campé tout droit, regard fier, nœud papillon et gants blancs. Elle, si ce n’est l’énorme bouquet posé sur son avant-bras gauche, passerait pour une communiante. Ce n’est pas un inceste pour l’état civil, c’est un inceste mental et même généalogique, vu qu’ils auront des enfants. Elle vient d’entrer dans une prison qu’elle ferme de l’intérieur. Joseph part à l’armée. Neuf mois plus tard, Henriette accouche d’un garçon, mon frère aîné.

     « Je suis la troisième de leurs quatre enfants. Ma mère pond les petits qu’elle délaisse aux soins de ma grand-mère. Elle accouche, se lève et retourne travailler à la blanchisserie qui jouxte notre maison comme si elle rentrait de faire les courses. Ma grand-mère entend les pleurs des bébés affamés qui contiennent toute la détresse du monde. Les cris sont de plus en plus faibles dans l’infinie solitude de l’abandon, de la faim et des langes mouillés. Elle finit par poser son fer à repasser le temps de leur donner un biberon.

     « Il paraît que j’étais jumelle dans le ventre de ma mère, une boule momifiée en serait sortie en même temps que moi. J’avais des doutes sur la réalité de cette légende maternelle et des craintes aussi sur le risque d’une hérédité. Avant de me marier, j’ai questionné le docteur, cela ne l’a pas étonné, la médecine connaît des cas de fœtus calcifiés.

     « J’en ai alors reparlé à ma mère, elle m’a répondu : Tu as étouffé ton jumeau. Tuer peut-il être une vocation ? Je suis donc sortie de son ventre en même temps que mon jumeau mort, un an avant la Seconde Guerre Mondiale. La guerre, je m’en souviens. Au moment où je sais juste marcher, il faut apprendre à courir : les sirènes, la peur qui fait détaler vers l’abri. C’est alors que mon père décide de m’envoyer avec mes frères aînés, Roger et Maurice, chez des cousins à lui, dans une ferme auvergnate. Je quitte le cauchemar des alertes pour la hantise des poules et de leur sarabande déchaînée par les volées de grain. La répugnance de la boue souillée par les volatiles et mes pauvres robes salies, voilà mes souvenirs de guerre.

     « Revenus à Saint-Maur à l’été 1945, nous retrouvons ma mère à la blanchisserie et mon père qui, ayant déposé les armes, est devenu maçon. J’ai sept ans. De la guerre, on ne parle jamais. D’ailleurs, je n’y songe pas, car la grande affaire, c’est que j’ai un petit frère, Raymond, de quatre ans mon cadet. Il est beau et joyeux, la peau si douce et qui sent bon. Je le protège de la brusquerie des grands et il devient mon unique compagnon de jeux.

     « En grandissant, nos parents nous associent à leur travail, en dehors de l’école, mes frères aînés à la maçonnerie et moi à la blanchisserie, Raymond sur les talons. Malgré l’ambiance étouffante et embuée, les journées longues et les congés rares, la compagnie de ces femmes est joyeuse, je m’y divertis. La réception du linge, le tri : très sale – moins sale, le lavage, le repassage, le pliage, se font dans les rires et les opérettes de Luis Mariano. J’aime bien le pliage.

     « Tout près, il y a Paris. À partir de mes treize ans, on me confie de belles robes à rapporter, tantôt dans des hôtels particuliers, tantôt dans des maisons qu’on ne nomme plus closes, car la loi l’interdit. J’ai peur de me perdre, je trouve des techniques pour ne pas louper les arrêts de bus, le prochain après un clocher, le troisième après un square ou une fontaine, et j’écarquille les yeux sur la ville, sa faune, ses lumières, les dames en tailleur copié de chez Chanel ou en robe corolle façon Dior, rang de perles autour du cou. J’apprends à aimer les beaux tissus et les bijoux. J’apprends aussi à me méfier des hommes dont les regards me dépouillent et m’écorchent.

     « Tu dors ? Tu m’entends ? Il faut se méfier des hommes.

     « Nos parents évoluent dans leur bulle gémellaire, mon père dans une plénitude réjouie, ma mère soumise et portant un masque d’absente. Nous gravitons autour. Mon père décide de tout, par exemple que je serai digne d’épouser au minimum un prince, c’est pourquoi on m’inscrit dans une école privée et au conservatoire pour y apprendre le piano. L’argent de poche gagné par mes frères est en partie confisqué pour payer les frais de mon éducation et un piano droit. Ils me foudroient du regard, mon statut de princesse en fait fi.

     Parfois, lorsque j’ai bien travaillé à la blanchisserie après l’école, ma grand-mère, Estelle, m’emmène au théâtre du Châtelet où se joue le Chanteur de Mexico, ou bien au théâtre de la Porte Saint-Martin voir À la Jamaïque. Aux beaux jours, on déguste une glace en terrasse. La vie est pleine de promesses.

     « C’est à mes seize ans que mon monde chavire. Nous quittons Saint-Maur pour ce trou dans la Nièvre où nous venions en vacances d’été, Saint-Benin d’Azy. Le bar hôtel restaurant du village où nous descendions était en vente. À pêcher à l’ombre des saules, mes parents ont façonné ici leur rêve de réussite : une entreprise de maçonnerie pour mon père et ses fils, un hôtel bar restaurant pour ma grand-mère, ma mère et moi. Ils ont désormais du papier à entête, un camion bleu de maçon avec notre nom peint en grandes lettres blanches italiques, une façade de pierre sur la place principale et une Traction noire garée devant.

     « Ton père et moi, nous nous marions début août cinquante-six, à mes dix-huit ans révolus, il en a vingt. Il a fallu l’autorisation de nos parents car la majorité est à vingt et un ans. Je suis une mariée tellement triste, en deuil de mon frère cadet, Raymond. Mi-juin de cette année-là, il est tombé de la moto que conduisait notre père, la tête éclatée sur une pierre. Il avait quatorze ans. Souvent, je crois le voir dans des silhouettes, j’entends sa voix, je sens sa présence, je prie pour que le cauchemar cesse et que revienne mon compagnon d’enfance, mon confident, mon seul ami, si réservé, élégant et discret, l’exact opposé des garçons bruyants du bar.

     « Tout juste un an plus tard, j’accouche de jumeaux prématurés, un garçon et une fille. Je voulais un garçon, il devait naître début août, à l’anniversaire de nos noces et je n’avais qu’un prénom, Claude. Je les appelle Claude et Claudine. Ils vivent si peu, quelques heures. Je ne veux ni photo ni leurs noms sur la pierre. Plus tard, je découvrirai horrifiée que Claude signifie boiteux.

     « J’étais déjà sidérée par la perte de mon frère, alors voir mourir mes deux enfants un an plus tard ! La vie me terrifie, tu sais. Vite, effacer, recommencer. Je suis encore tellement certaine de porter un garçon car je le veux de toutes mes forces. Cette fois, je me renseigne sur le sens du prénom : Didier, qui veut dire désiré. Oui, je le désire beau et fort, flamboyant, mon petit homme, capable de sécher toutes les larmes.

     « Tu nais pile un an après l’enterrement des jumeaux. Quand la sage-femme me dit « C’est une fille », je lui réponds que je n’ai de prénom. Elle appelle ma belle-sœur dont le mari, le frère de ton père, est directeur financier de l’hôpital. Ils habitent un logement de fonction à deux pas. Ils ont perdu une fille, Claire, il y a une dizaine d’années et ont eu deux garçons depuis. Elle a renoncé à une troisième tentative d’enfanter une fille face aux réticences de son mari, mais elle a gardé dans son cœur un prénom : Anne. C’est comme ça que tu t’appelles Annie. Quand elle me propose Anne, j’ajoute un point sur le ‘’i’’ pour qu’elle n’ait pas le dernier mot. Je n’aime pas sa froideur, je ne les aime pas ces deux-là. Mais sur le moment, mes pensées sont pétrifiées. Puisqu’elle me propose une issue, je m’entends lui demander d’être ta marraine. Elle serre ses mains l’une contre l’autre pour que je ne voie pas qu’elles tremblent.

     Aline arrête son monologue. Depuis sa chambre à l’étage, elle sonde la nuit en te tenant dans ses bras, tu as six mois. Son corps oscille dans un bercement devenu réflexe. Une lune immobile et froide, presque pleine, détache l’ombre des bâtiments qui ferment la cour rectangulaire. Elle observe une étoile qui tremble un instant puis disparaît derrière un nuage. La silhouette voûtée de son beau-père qui rentre de l’étable se découpe dans la clarté que diffuse la fenêtre de la cuisine. Elle entend le heurt métallique du loquet de la porte.

     Aline est à bout d’épuisement, à bout d’une solitude qu’elle emplit d’un flot de paroles incessant. Elle parle à Raymond, aux enfants morts, aux oiseaux, elle récite des poèmes d’enfance, chantonne un bout de berceuse. Elle t’a chuchoté son histoire comme on récite un chapelet de prières.

     Elle soupire, tressaille.

     « J’ai vraiment peur, tu sais. Tu crois que c’est ma vocation, la peur et la mort ? La peur des avions de guerre, la peur des animaux de ferme, la peur des hommes, et maintenant, la peur que mes deux frères ne reviennent pas d’Algérie. Les « évènements », dit le gouvernement dans un contour vicieux de langage. On ne prononce pas le mot, on use de circonvolutions, mais c’est une guerre. Ton père a été renvoyé à la maison avec une tension hors normes et des examens qui ont révélé une malformation rénale. La guerre veut broyer des corps sans défaut.

     « Par-dessus tout, j’ai peur que mon ventre ne soit qu’un cimetière. À vingt ans, tu te rends compte ?  Tu te rends compte ou tu dors ? J’ai beau interroger les nuages et la lune, mais rien ! Vas-tu mourir aussi ? J’ai besoin d’un signe. Vis, s’il te plait. Vis ! Ne me laisse pas seule ici. Certes, il y a ton père, mais il m’échappe déjà et j’en tremble car c’est lui que j’ai voulu pour mari jusqu’à ce que la mort nous sépare.

     Un frémissement dans le grenier, juste au-dessus, la chouette qui vit là part chasser. Aline reste un temps immobile, à sonder le silence, regard au plafond.

          « Donc, on arrive dans ce patelin. Ma mère m’assigne au bar avec tous ces balourds et leurs stupidités, je me sens souillon à un point que tu ne peux imaginer. Mais un jour, il pointe son mètre quatre-vingt-cinq dans l’encadrement de la porte, Dédé, comme ils l’appellent tous. Il est beau, ton père. Il se tient droit, épaules carrées, mâchoires serrées et regard d’un bleu ! C’est le plus beau du village. Et respectueux en plus, les blagues graveleuses, il fait mine de ne pas les entendre.

     Je me renseigne discrètement. Quand on me dit qu’il habite cette ferme perchée sur la colline entourée de forêts et qui ressemble à une demeure de contes de fées depuis la route, je décide qu’il est le prince charmant et que je deviendrai enfin princesse. Mon père s’indigne : « Un paysan ? ». Dédé n’est pas à la hauteur de ses ambitions pour moi.

     « Quoi ? Tu vois des hommes en costume dans cette cambrousse ? Et moi, boulotte, trop petite, trop brune, j’ai beau papillonner de mes yeux bleus, discipliner mes boucles pour ressembler à Anne Baxter, peindre mes lèvres en rouge baiser et me jucher sur des escarpins de dix centimètres, je ne harponnerai pas de gros poisson derrière ce bar. Celui-ci me plaît et il me regarde. Mon père sent bien que je suis prête à lui désobéir pour la première fois, et lui, n’est pas prêt à perdre la face. Il cède.

     « Nous avons le droit de nous fréquenter, c’est-à-dire d’aller au cinéma une fois par semaine, affublés d’un chaperon, en général mon frère aîné, trop heureux de sortir de son isolement. Un dimanche, le père de Dédé demande à son fils de le descendre au village. Il a mis son costume des grands jours, réclame à voir mon père, ôte son chapeau, quitte ses gants et lui demande officiellement ma main. Église, robe blanche, regards jaloux des paysannes endimanchées, même en deuil de mon petit frère, je suis princesse ce jour-là.

     « La nuit de noces, j’y arrive vierge, à peine quelques baisers en douce. Tant d’interdits pour cette chose qui fait mal. Je n’y connaissais rien, mais j’imaginais que la douleur n’était que pour la première fois. Mais non, les suivantes aussi. Le lendemain de la noce, le camion bleu tressaute sur les cailloux jusqu’en haut de la colline avec mes valises et mon piano qu’on dépose, incongru, dans un coin de la salle à manger, cette pièce qui ne sert que deux ou trois fois par an pour des invités méritant certains égards.

     « Tu parles d’un conte de fées ! La vie en autarcie, le travail de basse-cour et la traite des vaches réservées aux femmes. Pas question que je mette les pieds dans la crotte ! La cueillette au jardin, écosser les petits pois et les haricots, éplucher les légumes pour la soupe, passons. Pendant ce temps-là, les hommes sont aux champs du lever au coucher du soleil. Je suis cloitrée dans cette baraque où les meubles, les lampes, les rideaux, tout est piteux et porte l’usure d’au moins cent ans.

     « Et puis ce clan où je suis intruse. La famille de ton grand-père paternel, Louis, ne pèse pas trop, elle débarque juste l’été pour les récoltes. Mais celle de ta grand-mère, quelle poisse ! À mon arrivée, deux vivaient là, gîte et couvert, sa mère qui ne peut plus marcher, et son frère, Jean, avec son œil de verre, un célibataire endurci. J’ai réussi à m’en débarrasser de ces deux-là.

     « Tu m’écoutes ? Tu ne dors pas, hein ? Je te raconte.

     « Lorsqu’il me sait seule, Jean m’accoste avec des sous-entendus et des regards appuyés. Ah ! Mais c’est qu’il ne me connaît pas encore, celui-là. Si je lui mets une claque, il se vengera d’une manière ou d’une autre. Si j’expose la situation en famille, ce sera sa parole contre celle de la parisienne. Silence et stratégie. Je prends l’habitude d’être penchée sur la pierre d’évier de l’arrière-cuisine à laver des ustensiles chaque fin d’après-midi. Le rendez-vous devient tacite. Il s’accote à l’embrasure et m’englue de baratin. Je glousse imperceptiblement à ses boniments qui deviennent de plus en plus insistants.

     « Là, je m’en plains à ton père. Après avoir observé le manège discrètement pendant quelques jours, il se cache dans la laiterie attenante. L’autre, de plus en plus hardi, lance une ou deux phrases explicites sur ce qu’on pourrait faire tous les deux. Ton père entre, blanc comme un linceul, il lui demande de partir sur le champ. Jean quitte la ferme avec sa valise et sa mère qui ne veut pas le laisser seul, pour louer une petite maison de deux pièces à une dizaine de kilomètres.

     « Exit les pique-assiettes. Il reste les dimanches avec Yvonne et Pierre, ta marraine et ton oncle, qui débarquent de la ville dans leur belle auto avec leurs deux fils et leurs airs de premiers de la classe. Mais le pire, c’est le quotidien avec les beaux-parents, surtout ta grand-mère, la Mélie, que j’évite autant que je peux. J’ai l’impression qu’elle lit dans mes pensées et que chacun de ses regards me dissèque. Enceinte, je n’ai guère quitté ma chambre. Mère, j’ai des arguments pour t’y garder.  

     « Tu dors ? Ne me laisse pas seule avec eux, s’il te plaît.

     Seul celui qui a connu des rendez-vous injustes avec la mort peut se représenter le désarroi d’Aline en cette veille de Noël. Elle ne voulait pas de fille, mais elle n’a que toi. Elle t’a sentie te battre et palpiter dans des accès de fièvre, presque 39°. Elle répète sans cesse « Je ne savais pas qu’il y avait tant de résistance dans un si petit corps » en déposant sur ton front un gant de toilette humide.

     Ces derniers jours brûlants t’ont rendue léthargique, tes lèvres sont sèches, ton souffle irrégulier, tu sembles inconsolable, mais tu pleures sans verser de larme. Puis, tu t’endors et il est difficile de te réveiller. Elle insiste pour te faire boire un peu, tu refuses tout sauf quelques gouttes d’eau sucrée avec du miel. Ton corps devient insensible au toucher.

     Le jeune médecin qui s’est installé l’an passé au village t’a déjà suivie lorsque tu avais deux mois pour un épisode de muguet buccal sévère. Ta langue, tes gencives et l’intérieur de tes joues s’étaient recouverts de plaques blanchâtres, des petites fissures rouges et gonflées apparaissaient sur tes lèvres. Tes colères au contact du sein firent tenter le biberon, ce fut l’arrêt prématuré de l’allaitement.

     Cette fois, le docteur ne sait pas nommer la cause de ce qui t’affecte. Chaque jour, en début et en fin de tournée, il gravit le chemin chaotique qui mène jusqu’à la ferme, il frappe en même temps qu’il pousse le battant de bois, monte deux à deux les marches de l’escalier qui grince et entre dans la chambre. Il t’ausculte, demande ta température, fait la grimace, secoue la tête, dit qu’il n’y comprend rien, qu’il hésite à t’hospitaliser, que ce serait peut-être pire.

     Aline sait qu’il va venir ce soir, mais elle n’en espère plus rien. Probablement qu’il va t’hospitaliser, que tu ne reviendras pas. D’un coup, elle se sent épuisée, inopportune comme une transgression, vide de mots.

     Elle voulait un enfant de remplacement, un chaton à choyer pour effacer tous ses deuils. Combien d’absences injustes, de vies éclipsées, interdites aux regards et aux baisers, mais qui continuent leur chemin fantasmé dans les cœurs ? Un frère, un fils, une fille. Quand la douleur est indicible, l’idée même de la mort est si insoutenable qu’on ne peut l’autoriser à survenir une seconde fois par l’oubli. Il faut ramener la vie dans un autre corps.

     L’entourage essaye de réconforter les parents endeuillés d’un premier enfant en les poussant à se détourner de la perte inconsolable vers le projet d’une nouvelle naissance qui comblerait le vide. Comment en vouloir aux parents d’avoir suivi ces conseils pour échapper au désespoir ? Ils se disent qu’il est inutile de graver les noms dans le marbre, car la mémoire s’incarnera dans le vivant, dans ce nouvel enfant à naître, par l’intermédiaire de sa chair, de sa voix, de ses yeux, de son prénom, de la mission de vie que la famille lui octroie.

     Voici enfin celui qu’on attend en imaginant qu’il réparera toutes les pertes. Il aura l’impression de vivre plusieurs vies sans savoir laquelle est la sienne, se questionnera souvent sur les choses qu’il fait et qui ne lui appartiennent pas. Il y a toi qui arrives fille, joyeuse en apparence et triste à l’intérieur, qui n’est pas l’enfant parfait qu’on projetait pour assumer cette mission consolatrice. Pourtant, tu portes en toi une partie de tous ces absents et tant d’espérance.

     Aline te pose sur le grand lit et s’étend sur le dos à ton côté. Elle tourne la tête pour te regarder un moment en silence. Elle murmure dans un souffle « Je comprendrais que tu renonces. » Et le sommeil la précipite dans un néant.  

     Les palpitations désordonnées de son cœur la réveillent en sursaut. Le médecin est là, debout au pied du lit. Elle s’assied d’un bond. Sa gêne d’être surprise si négligée lui impose des gestes réflexes, elle se recoiffe de la main, tire sur sa robe de laine.

     — Docteur, mais il fallait me réveiller.

     Il lui offre un sourire de soulagement, son regard va vers toi.

     — La fièvre est tombée. 

     Aline pose la main sur ta brassière bleue. Tu respires tranquillement. Son regard vacille, retourne vers le médecin.

     — Je n’y comprends toujours rien, dit-il. Il s’est passé quelque chose ?

     — Rien de particulier, docteur.

— Eh bien ! En venant ce soir, j’avais décidé de l’hospitaliser faute d’amélioration. »

     Aline est décontenancée. Serait-il possible que tu aies compris, répondu à son appel ?

     Soudain, elle ressent un poids sur la poitrine, son attention est attirée vers la porte entrebâillée. Elle croise le regard de la Mélie, noir comme une sentence.

 

 

DOSSIER DE PRESSE

 

Lever le voile sur l'héritage transgénérationnel

et mieux s'épanouir : sortie de "Danse avec les vivants"

d'Amélie Louis

Les secrets de famille et les traumatismes non résolus, souvent transmis de génération en génération, influencent subtilement mais profondément les vies individuelles.

Face à des questionnements croissants sur l’origine de certains maux émotionnels et comportementaux, un nombre grandissant de personnes se tourne vers la psychologie transgénérationnelle. Cette approche permet de comprendre comment les expériences non résolues des ancêtres continuent de peser sur les choix et les émotions des générations suivantes.

Avec "Danse avec les vivants", publié par Hello Editions, l’auteure Amélie Louis s’inscrit dans cette démarche en explorant les héritages silencieux qui façonnent inconsciemment l’existence.

Ce livre puissant et intime explore les secrets et les non-dits familiaux pour offrir une voie vers la libération personnelle. En plongeant dans les profondeurs de son histoire familiale, l’auteure invite le lecteur à se confronter à son passé pour mieux embrasser son avenir, s’affranchissant ainsi des chaînes invisibles qui l’entravent.

 

Un voyage transgénérationnel vers la liberté, ...

"Danse avec les vivants" est une plongée profonde dans les méandres des secrets familiaux et des non-dits qui se transmettent de génération en génération. Amélie Louis, à travers son écriture, offre une réflexion unique sur l’héritage transgénérationnel et sur la manière dont il façonne la vie de chacun, souvent à son insu.

Le livre explore l’idée que l’on n’hérite pas seulement des gènes de ses ancêtres, mais aussi des blessures, des secrets et des traumatismes qui restent souvent enfouis dans le silence des générations passées. "Danse avec les vivants" symbolise cette quête de vérité et de libération, en déterrant ces héritages invisibles pour permettre au lecteur de trouver son propre chemin vers une vie plus authentique.

Ce récit, riche en émotions et en introspections, ne se conforme à aucune case préétablie, mais propose un modèle universel pour quiconque souhaite explorer son passé familial et s’en affranchir.

..., et l'éveil des consciences

La démarche de "Danse avec les vivants" est claire : offrir aux lecteurs l'opportunité de partager une expérience intime et d’y trouver les outils nécessaires pour explorer leur propre héritage familial, comprendre les répétitions de schémas, et finalement, se libérer des attentes implicites et des traumatismes passés. Le dernier chapitre du livre propose d'ailleurs une série de clés pratiques et une bibliographie pour accompagner cette exploration.

La force de ce livre réside dans sa capacité à parler directement au cœur du lecteur. Contrairement à de nombreux ouvrages de développement personnel qui s'adressent principalement au mental, "Danse avec les vivants" mise sur l'émotion pour provoquer un véritable éveil de conscience.

Comme le dit l'auteure : "Seul ce qui passe par le cœur apporte la lumière." C'est avec cette conviction que ce livre a été écrit, pour offrir à chacun la possibilité de se reconnecter à son essence profonde, au-delà des injonctions et des carcans imposés par le mental.

Un livre pour tous

"Danse avec les vivants" est un livre qui trouvera écho chez tous ceux qui ressentent le besoin de comprendre les dynamiques inconscientes qui influencent leur vie. Que l'on soit en quête de développement personnel, passionné de psychologie ou simplement curieux de découvrir un récit profond et émouvant, ce livre a été écrit pour vous. Comme le souligne une libraire ayant découvert l'ouvrage : "Je vais en commander pour la librairie car il peut aider des personnes à s'affranchir et à se poser les bonnes questions sur leur vie."

L'auteure se dit prête à rencontrer son public à travers des conférences et des lectures à voix haute, afin d'offrir une expérience immersive et interactive autour de "Danse avec les vivants". Elle aspire à ce que son livre serve de guide à ceux qui cherchent à s'affranchir des attentes familiales et à se poser les bonnes questions sur leur vie.

Quatrième de couverture

Et si nos choix de vie étaient dictés par les désirs familiaux ?
Et si le libre arbitre n’était qu’une illusion ?
Annie vient au monde après la mort de jumeaux. Comment les remplacer ? Elle s’évade du poids d’avoir à consoler ses parents grâce à l’imaginaire.
Dans la ferme familiale, le songe côtoie la violence larvée qui sclérose le couple parental. Bientôt la mort rode dans son cœur d’adolescente. Il faut une tornade pour choisir la vie, ce sera la maternité.
Mais ses amours tournent court, sa vie effrénée est une fuite, sa passion d’enfance pour l’écriture reste dans l’ombre. Quand elle prend conscience que des non-dits familiaux lui imposaient ses choix, elle fait le premier pas vers sa liberté d’être…
Ce roman vous fera revisiter votre histoire et redécouvrir vos racines familiales.

Portrait d'Amélie Louis, l'auteure

Derrière cet ouvrage se cache Amélie Louis, une auteure passionnée par les relations humaines et les mécanismes qui les sous-tendent.

Forte d'une carrière en tant que juriste et manager dans le logement social et la protection de l'enfance, Amélie Louis a toujours été animée par un profond intérêt pour la psychologie et l'étude de la personnalité. Sa formation en théorie de la personnalité, ainsi que sa passion pour la littérature, ont enrichi sa capacité à créer des personnages psychologiquement riches et à raconter des histoires qui résonnent profondément chez ses lecteurs.

L'écriture est pour elle une seconde nature, un moyen de donner vie à des archétypes qui nous parlent de notre manière d'être au monde.

Ses précédentes œuvres, des fictions et romans historiques tels que "Souper avec le diable" et "Trois fois j’ai été reine", mettent en lumière des figures féminines ayant joué des rôles politiques majeurs.

Avec "Danse avec les vivants", elle franchit une nouvelle étape en partageant une partie de son histoire personnelle, tout en offrant un modèle pour que chacun puisse explorer et guérir les blessures transgénérationnelles qui le retiennent.

Portrait 2

A l'origine du projet : une plume animée par l'humain

L'écriture de ce livre a été déclenchée par une période de confinement, durant laquelle l'auteure a ressenti le besoin impérieux de partager son expérience de "l'enfant de remplacement" et de déterrer les secrets longtemps enfouis de sa propre lignée. Elle s'est inspirée de la théorie du "syndrome du gisant" mise en lumière par le docteur Salomon Sellam, et de la notion de l'inconscient collectif familial, initialement évoquée par Freud, pour structurer son récit.

Convaincue que l'écriture romanesque est le meilleur moyen de transmettre des vérités universelles, elle a choisi ce format pour "Danse avec les vivants", afin de permettre aux lecteurs de se connecter émotionnellement à l'histoire et d'entamer leur propre cheminement intérieur.

Infos Pratiques

"Danse avec les vivants", d'Amélie Louis

  • Editions : HELLO EDITIONS ;
  • Date de parution : 12 juillet 2024 ;
  • ISBN-10 : 2384623907 ;
  • ISBN-13 : 978-2384623907 ;
  • Nombre de pages : 160.

En savoir plus

Le livre : http://www.amelielouis.com/pages/romanciere/danse-avec-les-vivants.html

Site web : http://www.amelielouis.com/

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Contact Presse

Amélie Louis - Email : amelie-louis@orange.fr

Editions Hello – Email : promo@helloeditions.fr

 

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On en parle aussi ...

https://www.babelio.com/livres/Louis-Danse-avec-les-vivants/1697557

Et dans la presse

CURIOSITES MAGAZINE

« Danse avec les vivants » d’Amélie Louis explore les héritages transgénérationnels - Curiosités Magazine (curiosites-magazine.com)

GETBOOX

Danse avec les vivants : comment découvrir son héritage tran (getboox.com)

SENIOR ACTU

https://www.senioractu.com/Danse-avec-les-vivants-d-Amelie-Louis-lever-le-voile-sur-l-heritage-transgenerationnel-livre_a25960.html

OCCITANIE TRIBUNE

https://www.occitanie-tribune.com/articles/49073/danse-avec-les-vivants-amelie-louis

EUROTRIBUNE

https://www.eurotribune.fr/articles/49073/danse-avec-les-vivants-amelie-louis

LE PETIT MARSEILLANAIS

https://www.lepetitmarseillanais.fr/articles/49073/danse-avec-les-vivants-amelie-louis