Zoo de campagne, roman épuisé

Zoo de campagne est sorti en janvier 2011 chez Lettres du Monde.

ISBN 978-2-7301-0225-4 ; 18 €.


La 1ère édition est épuisée en raison de la fin d'activité de l'éditeur.

Suite aux demandes, une version numérique est disponible.

 

e-book tous formats à 1,99 €

https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/zoo-de-campagne

 

ou sur AMAZON

Publication kindle

 

https://www.amazon.fr/dp/B085QPHMC9

 

 

 

                         1ere-zoo.jpg

Dessin de Pierre MICHEL

  

Le désir de pouvoir

Naît-il d’une fidélité, à un pair, à un père, à un engagement ?

Glisse toi avec curiosité et un rien de voyeurisme dans les petits secrets de l’appareil politique.

Ce vieux buffle solitaire incarne les figures politiques qui offrent une démonstration pathétique de danse du ventre électorale à chaque campagne. Car les enjeux du pouvoir local sont le théâtre de combats aussi exaltés et parfois tout autant fratricides que les élections nationales. Certes moins médiatiques, les batailles sont toujours sans pitié.

Ces animaux politiques forment un drôle de zoo de campagne électorale, où tous les coups de dents et de griffes sont permis. On espionne, on calomnie, on moleste, on exhibe les secrets d’alcôve, on tue sans état d’âme. Mais les stratégies conquérantes des élus sont largement égalées par celles des cadres de l’administration qui par mimétisme, jouent à la guerre des chefs avec entrain.

 Et la campagne à peine amorcée, on compte déjà deux suicides suspects. Parmi les armes de guerre déployées par le crocodile en chef, une jeune panthère noire va venir chalouper dans les couloirs, avec pour mission tout à fait officielle de faire tomber le vieux singe de directeur financier qui tire les ficelles de toutes ces bestioles, politiques et fonctionnaires, avec un hédonisme pervers.

 

Vent debout

                                         Vent debout - création Amélie LOUIS

 

 EXTRAITS

Adossée à la porte, Véro a suivi le regard.

Elle le connaît par cœur depuis presque vingt ans qu’elle partage l’intimité de l’édile, enfin qu’elle partageait jusqu’à deux années en arrière. Mais, plus le vieux buffle avance en âge, et plus il s’attaque aux jeunes proies. A soixante dix ans, il recrute désormais ses assistantes deux par deux.

A l’arrivée des minijupes elle s’est pris un sacré coup de vieux, deux de vingt cinq contre une de cinquante. Elle a abusé de toutes les techniques classiques de récupération du mâle en déroute, champagne toujours au frais, nouvelles robes décolletées, guêpières Chantal Thomass, elle a troqué son carré contre une coupe courte savamment décoiffée  sensée la rajeunir, dépensé une fortune en soins liftants et bronzages en cabine.

Mais d’esquives en mensonges, elle a fini par se faire une raison. Pas que le vieux soit une référence comme sexe symbole. Sa panse proéminente est distendue par des années de repas trop bien arrosés, le moindre effort l’essouffle, inonde sa chemise et fait tourner son faciès rougeaud au violet. Refusant de renoncer à sa libido, elle n’a pas attendu d’être reléguée au rayon antiquités pour s’offrir des fantasmes compensateurs en alliant thalasso et extras musclés dans les hôtels clubs africains.

Pas que la perte affective soit insupportable non plus, d’ailleurs, l’a-t-elle jamais aimé ? Non, ce qui l’affecte, c’est la perte d’image et de pouvoir qui en résulte. Dans cette basse cour de bestioles persifleuses, pas une journée sans qu’un sous entendu assassin ne lui rappelle qu’elle n’est plus toute puissante auprès de l’élu.

Elle estime pourtant mériter un minimum de reconnaissance. Elle est devenue sa maîtresse dès son premier mandat de président. Il cherchait une assistante, elle cherchait l’aventure. Elle lui a fabriqué un look, ses costumes croisés Saint Laurent sur des chemises bleues, du gris bleu exact de ses yeux c’est elle. Elle a aussi mis tout son talent de juriste aux montages financiers des marchés qui ont financé ses campagnes successives, son imagination à la rédaction de ses discours, et son sixième sens à lui éviter les peaux de bananes.

Et par-dessus le marché, quand il jette une de ses dulcinées, c’est encore à elle de trouver une voie de garage. Deux hôtesses d’accueil, une chargée du fichier photos au service communication, une assistante de plus au secrétariat des élus. La queue du président a un impact non négligeable sur l’organisation des services, sur la masse salariale et par conséquent sur la fiscalité locale. Et si au moins elles étaient compétentes, enfin au bureau s’entend. Mais c’est bien le cadet de ses soucis. Il faut donc rattraper les conneries en faisant mine que tout va pour le mieux.

Chaque jour elle collectionne secrètement les timbres amendes des manquements de sa majesté, un pour chaque humiliation, chaque sarcasme, témoins silencieux de ses ressentiments. Et à mesure que l’album grossit elle lui fait payer ses frustrations au prix fort, en petitesses, caprices et harcèlements divers et variés. Mais jamais sur le plan politique, zone interdite.

 

                                                                       ------------------------

 

L’annonce de l’arrivée d’un contrôleur de gestion avait jeté un froid sur la dernière réunion de direction. Méfiance. Cependant, pour rien au monde les cadres n’auraient manqué le petit déjeuner de présentation. L’occasion de marquer d’entrée de jeu la solidarité indéfectible d’une équipe qui s’est toujours passée des compétences du bizut, et d’envoyer des messages subliminaux indiquant qu’il n’insinuera pas sa calculette dans leurs dossiers, dont seuls des spécialistes de leur niveau peuvent appréhender toute la complexité.

Murs blancs, tables blanches sur moquette grise, la salle de réunion a tout d’un réfrigérateur. Et ce n’est pas la distance étudiée de l’équipe de direction qui réchauffe l’ambiance.  Ils sont ponctuels dans leurs tenues de premiers de la classe du lundi matin. Anne connaît par cœur la composition classique des équipes d’encadrement. Deux camps : Les hyènes et les marmottes. La minorité des ambitieux  prêts à s’entretuer pour visser le panneau « directeur » sur la porte de leur bureau constitue la horde des hyènes. En face, s’agglutine la famille pléthorique des marmottes prêtes à tout pour n’être directeur de rien, tétanisées par la peur de la vérification, de la confrontation, de la notation, de la placardisation, de la sanction.

Ces rongeurs craintifs glandent avec une attitude affairée de composition qu’un observateur extérieur non averti ne peut détecter. Leur bureau croule sous un désordre de dossiers. Vissés à leur écran d’ordinateur le faciès profondément inspiré, et le combiné de téléphone scotché à l’oreille, ils surfent sur Internet pour alimenter leurs dossiers, les conversations qu’il est de bon ton de mener haut et fort au café du commerce à l’heure du déjeuner, réserver leurs prochaines vacances, et à l’occasion pour acheter leurs cravates sur ebay,. Chaque matin, ils étudient consciencieusement la presse en ligne qui présente l’avantage décisif de n’avoir pas à être repliée en toute hâte en cas d’incursion ennemie aux abords de leur terrier.

Quant aux hyènes, ces jeunes carnivores sont figés dans un sourire ultra blanc assorti à leur chemise, rivalisent de bons mots devant les élus et courtisent leur hiérarchie. Ils passent l’essentiel de leur temps à s’engouffrer dans les projets à la mode et à fabriquer des pétards à retardement qu’ils planquent entre les dossiers de leurs congénères histoire de les faire exploser en plein vol. Entre les hyènes et les marmottes, c’est la sympathie affectée, l’inefficience du rongeur ne mettant aucunement en péril le prédateur. Affectation - et non affection - qui s’exprime à grands coups de tapes dans le dos assorties du nom de code « mon vieux » maintes fois décliné.

— comment ça va mon vieux ? 

— venez mon vieux

— qu’en pensez-vous mon vieux ? 

— alors ce week-end mon vieux ? 

Mais, quelle que soit l’espèce à laquelle il appartient, tout cadre averti respecte les dix commandements de base qui dictent son comportement général, de la gestion des réunions à l’usage de la machine à café.

Un – Courir dans les couloirs. Qu’il s’agisse de se rendre au copieur, à la machine à café, ou aux toilettes, avoir l’air pressé confère une allure dynamique et proactive qui fait grimper automatiquement le baromètre de la notation.

Deux – Avoir l’air méditatif, voire légèrement préoccupé, ou perplexe. Mais pas trop tourmenté quand même, question de crédibilité, n’oublions pas qu’on est fonctionnaire.

Le cumul des points un et deux étant du meilleur effet, ceux qui ont du mal à faire deux choses à la fois s’entraînent chez eux devant la glace avant de se lancer par mesure de prudence.

Trois – Arriver en avance et partir en retard. Cette technique n’est parfaitement efficace que si on se cale sur les horaires de sa hiérarchie. L’objectif suprême étant d’attraper l’ascenseur en même temps que son chef. C’est dans cette intimité d’ascenseur que la marmotte a souvent une longueur d’avence car elle peut intelligemment évoquer les sujets d’actualité recensés sur Internet, voire sortir un scoop tout frais tombé de l’A.F.P. et que son chef lui saura gré de pouvoir ressortir au dîner où on l’attend. Pour peu qu’il l’agrémente d’un trait d’esprit… Alors que la hyène va évoquer les dossiers d’actualité dont le chef a déjà les oreilles rebattues à longueur de journée.

Quatre – Pratiquer la réunionnite. Se débrouiller pour être invité à toutes les réunions. En organiser soi-même, il faut renvoyer la politesse. Ainsi l’agenda du cadre justifie pleinement son attitude surbookée exposée aux trois points précédents. Autre avantage non négligeable, on dispose d’un argument béton pour renvoyer aux calendes grecques la réponse aux questions embarrassantes de son équipe : « Bon d’accord, mais là j’ai pas le temps, je vais en réunion ». Comme çà s’ils font des conneries on peut utilement leur faire porter le chapeau de leurs initiatives hasardeuses.

Cinq – Trouver les idées de son chef géniales, surtout en réunion. Le dire tout haut et le répéter partout.

Cinq bis – Idem pour les idées des élus. Si çà vient du président, les trouver super-géniales, incroyablement modernes, visionnaires même. Le claironner haut et fort et à toutes les occasions.

Six – Se garder d’avoir des idées originales, les soumettre discrètement au chef. S’il s’en empare, reprendre avec conviction au point cinq.

Sept – Abuser de tournures anglo-saxonnes, et de locutions techniques pour forcer la considération : feed back, brain storming, business plan, breefing, back office. Le summum de la classe est atteint quand, faisant mine de ne pas trouver le bon mot en français, on le sort en anglais.

Huit – Se rendre très régulièrement à la machine à café, centre névralgique d’information. Mais attention, en plus de l’application scrupuleuse des points un et deux, il convient de toujours avoir un dossier sous le bras, çà se complique. Par prudence, avoir également une conversation très professionnelle à lancer au cas où des oreilles tant inamicales que hiérarchiques se pointeraient. La fréquentation de la machine à café est donc, pour le cadre inexpérimenté, une technique complexe qui nécessite un entraînement assidu.

Neuf – Ne s’étonner de rien de ce qui est dit. Faire comme si on était au courant depuis longtemps permet généralement d’en savoir davantage.

Dix – Si on en vient à parler vacances, ne jamais avouer qu’on va glander les orteils en éventail dans un pays exotique, l’objectif des absences prolongées du cadre est obligatoirement éthique ou humanitaire.

Le tour de table révèle une équipe des plus classiques, mais finalement peu de hyènes, beaucoup de marmottes, et un vieux singe.